Trois expériences en Occident sont riches d’enseignements pour comprendre les défis de la « prise du pouvoir »: Syriza en Grèce en 2015, le NPD en Ontario sous Bob Rae au début des années 90, enfin Mitterrand et le « programme commun » de 1981 en France. Les trois ont en commun d’être arrivés au pouvoir en pleine récession. À chaque fois, le néolibéralisme a survécu.
Syriza a su s’imposer comme le choix politique contre l’austérité, dans le cadre d’une crise sociale et humanitaire des plus sévères, après la crise financière de 2007. Évoluant dans un cycle d’imposantes mobilisations populaires, le parti a su développer de riches expérimentations en matière de parti des urnes et de la rue. Que ce soit par sa participation à des comités « humanitaires » répondant aux besoins de première nécessité ou par son soutien politique aux mobilisations en réponse aux assassinats de jeunes par la police et par le parti néonazi Aube dorée, malgré leur caractère violent.
Syriza représentait la menace la plus redoutable à l’hégémonie néolibérale en Europe et à son mantra « Il n’y a pas d’alternative ». Or, ce gouvernement s’est vite retrouvé dans l’impasse. Car toute sa stratégie visait à mettre fin à l’austérité tout en conservant l’euro et son adhésion à l’Union européenne.
Des voix dissidentes au sein de Syriza ont toujours voulu inscrire à l’ordre du jour du parti l’importance d’élaborer un « plan B ». Cependant, cette avenue avait été depuis le début discréditée par la direction comme électoralement suicidaire, et ne menant qu’à plus d’instabilités. Mais en refusant d’envisager tout plan de sortie en cas d’échec des négociations avec la troïka (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne), Syriza s’est privé d’un rapport de forces crucial.
La crise a atteint son paroxysme avec le référendum de juin 2015, véritable tour de force de souveraineté populaire. Hélas, le ‘Oxi’ (Non!) du peuple s’est pourtant transformé en ‘Oui’, quand le gouvernement Tsipras a malgré tout accepté les conditions de la troïka. Cet exemple démontre encore une fois que les élites n’hésiteront pas à bafouer le respect de la démocratie lorsque celle-ci menace les fondements de l’ordre néolibéral.
Cette triste issue découle en partie de la centrali-sation du pouvoir au sein de Syriza qui avait alors atteint un sommet. Malgré la volonté de membres de respecter le mandat du référendum en trou-vant une autre avenue, leur instance (équivalente à notre conseil national) n'a pas été convoquée par la direction. Ainsi, les membres ont-ils été privés de la possibilité de déterminer autrement le cours de l’histoire.
L’arrivée au pouvoir du NPD en Ontario a été vue comme la victoire politique de la gauche la plus prometteuse en Occident au début des années 90. Au-delà d’un plan économique de sortie de crise, le NPD visait aussi une démocratisation des insti-tutions politiques. Or, la menace d’une grève d’investissements et une campagne de salissage médiatique ont vite fait plier le gouvernement.
La légitimité du gouvernement était d’autant plus affaiblie en l’absence d’un pouvoir populaire fort, prêt à soutenir le gouvernement en place. C’est une leçon que des militantes et militants à gauche du NPD (le “New Politics Initiative”) ont tiré de cette expérience, en insistant dorénavant sur l’importance de construire un parti des urnes et de la rue, fondé sur une alliance avec les mouve-ments sociaux.
financier.
Ce programme visait à sortir l’Europe de la crise, au nom d’une Europe plus « sociale ». Or, il s’est buté rapidement aux limites du « keynésianisme dans un seul pays ». Devant la crise stagflationniste des années 70, les politiques ’intervention keynésiennes ont été discréditées, ce qui a ouvert les portes à l’offensive néolibérale. C’est d’ailleurs à ce moment que se met sur pied le G7 comme forum de coordination des États capitalistes avancés, pour faire face à cette période de turbulences non seulement économiques, mais aussi politiques.
La proposition de Mitterrand d’une « Europe sociale » recevra une fin de non-recevoir lors de la réunion du G7 qui suivit son élection. Les pressions seront énormes pour imposer la discipline fiscale et monétaire, et auront vite raison d’une telle proposition. Très vite, la France prendra le « tournant de la rigueur » en 1983.
Ces expériences démontrent bien qu’au-delà du pouvoir des parlements, d’autres pouvoirs sont à l’oeuvre dans nos sociétés: le poids du patronat sur la politique (les accès privilégiés que les entreprises ont avec les décideurs, au niveau national comme dans la négociation des traités internationaux), le pouvoir dans l’État au-delà des parlements (haute administration publique, corps judiciaires, police et armée), le pouvoir dans les entreprises (le rapport de force favorable aux actionnaires qui durcit les conditions de vie et de travail d’une majorité de la population, limitant sa capacité d’action politique), les oppressions systémiques qui perdurent, le pouvoir des médias qui façonne les conditions du débat public.
C’est souvent pour avoir sous-estimé ces pouvoirs que des gouvernements de gauche ont fini par se perdre dans une impasse. Devant ces échecs, il n’est pas surprenant qu’autant de nouvelles générations militantes aient préféré « changer le monde sans prendre le pouvoir », les partis politiques se trouvant alors discrédités.
Mais ce sont plutôt certaines stratégies qui ont été défaites dans ces expériences. Ce n’est pas le dernier mot de ce qu’un parti politique de gauche peut accomplir en ce XXIe siècle. C’est pourquoi nous espérons susciter l’intérêt pour l’étude de ces expériences (et d’autres), afin d’éviter les mêmes erreurs.
Derrière ces cas se trouvent certaines constantes: un manque de clarification programmatique et stratégique pour reprendre démocratiquement le contrôle de l’économie des mains du grand capital et de ses leviers institutionnels; les problèmes pour développer et demeurer un parti des urnes de la rue, et un manque de démocratie interne du parti.
S’ajoute le pessimisme à l’égard de la capacité des peuples à se battre pour surmonter les obstacles économiques et politiques rencontrés, en créant de nouvelles institutions et de nouveaux rapports sociaux, afin de réaliser un nouveau monde égalitaire. Ici, nous retrouvons la peur devant ce qu’impliquent des révolutions pas si tranquilles que cela…
La Grèce et Syriza
Syriza représentait la menace la plus redoutable à l’hégémonie néolibérale en Europe et à son mantra « Il n’y a pas d’alternative ». Or, ce gouvernement s’est vite retrouvé dans l’impasse. Car toute sa stratégie visait à mettre fin à l’austérité tout en conservant l’euro et son adhésion à l’Union européenne.
Des voix dissidentes au sein de Syriza ont toujours voulu inscrire à l’ordre du jour du parti l’importance d’élaborer un « plan B ». Cependant, cette avenue avait été depuis le début discréditée par la direction comme électoralement suicidaire, et ne menant qu’à plus d’instabilités. Mais en refusant d’envisager tout plan de sortie en cas d’échec des négociations avec la troïka (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne), Syriza s’est privé d’un rapport de forces crucial.
Une leçon de démocratie
Cette triste issue découle en partie de la centrali-sation du pouvoir au sein de Syriza qui avait alors atteint un sommet. Malgré la volonté de membres de respecter le mandat du référendum en trou-vant une autre avenue, leur instance (équivalente à notre conseil national) n'a pas été convoquée par la direction. Ainsi, les membres ont-ils été privés de la possibilité de déterminer autrement le cours de l’histoire.
L’Ontario et le NPD sous Bob Rae
La légitimité du gouvernement était d’autant plus affaiblie en l’absence d’un pouvoir populaire fort, prêt à soutenir le gouvernement en place. C’est une leçon que des militantes et militants à gauche du NPD (le “New Politics Initiative”) ont tiré de cette expérience, en insistant dorénavant sur l’importance de construire un parti des urnes et de la rue, fondé sur une alliance avec les mouve-ments sociaux.
France: le « programme commun » de 1981
Le « programme commun » en France était basé sur une alliance du Parti socialiste et du Parti communiste, sous l’égide de François Mitter-rand en 1981. Il s’agissait de relancer l’économie pour atteindre le plein emploi, à partir de méca-nismes de stimulation économique de type keynésien, couplés à un vaste plan denationalisations stratégiques, incluant le secteurfinancier.
Ce programme visait à sortir l’Europe de la crise, au nom d’une Europe plus « sociale ». Or, il s’est buté rapidement aux limites du « keynésianisme dans un seul pays ». Devant la crise stagflationniste des années 70, les politiques ’intervention keynésiennes ont été discréditées, ce qui a ouvert les portes à l’offensive néolibérale. C’est d’ailleurs à ce moment que se met sur pied le G7 comme forum de coordination des États capitalistes avancés, pour faire face à cette période de turbulences non seulement économiques, mais aussi politiques.
La proposition de Mitterrand d’une « Europe sociale » recevra une fin de non-recevoir lors de la réunion du G7 qui suivit son élection. Les pressions seront énormes pour imposer la discipline fiscale et monétaire, et auront vite raison d’une telle proposition. Très vite, la France prendra le « tournant de la rigueur » en 1983.
Repenser le pouvoir
C’est souvent pour avoir sous-estimé ces pouvoirs que des gouvernements de gauche ont fini par se perdre dans une impasse. Devant ces échecs, il n’est pas surprenant qu’autant de nouvelles générations militantes aient préféré « changer le monde sans prendre le pouvoir », les partis politiques se trouvant alors discrédités.
Mais ce sont plutôt certaines stratégies qui ont été défaites dans ces expériences. Ce n’est pas le dernier mot de ce qu’un parti politique de gauche peut accomplir en ce XXIe siècle. C’est pourquoi nous espérons susciter l’intérêt pour l’étude de ces expériences (et d’autres), afin d’éviter les mêmes erreurs.
Des révolutions pas si tranquilles
Ces expériences ne doivent pas être réduites à des trahisons, découlant d’un simple manque de volonté politique. Une telle approche « volontariste » nous détournerait des vraies questions: à savoir, comment surmonter les turbulences socioéconomiques et les oppositions qu’une véritable politique de rupture implique. Des gouvernements de gauche bien intentionnés se sont souvent arrêtés par la crainte des conséquences néfastes pour leur population.Derrière ces cas se trouvent certaines constantes: un manque de clarification programmatique et stratégique pour reprendre démocratiquement le contrôle de l’économie des mains du grand capital et de ses leviers institutionnels; les problèmes pour développer et demeurer un parti des urnes de la rue, et un manque de démocratie interne du parti.
S’ajoute le pessimisme à l’égard de la capacité des peuples à se battre pour surmonter les obstacles économiques et politiques rencontrés, en créant de nouvelles institutions et de nouveaux rapports sociaux, afin de réaliser un nouveau monde égalitaire. Ici, nous retrouvons la peur devant ce qu’impliquent des révolutions pas si tranquilles que cela…
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