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2. Les défis d'un gouvernment de rupture

Avec l’arrivée d’un gouvernement QS déterminé à redéfinir les cadres législatifs, réglementaires et fiscaux de l’activité économique tout en soutenant des formes de propriété plus démocratiques (coopératives, nationalisations stratégiques), et préfigurant un processus de rupture avec la logique capitaliste, il est inévitable que la classe dominante se sente menacée dans ses intérêts et ses privilèges.

Il ne s’agit donc pas ici de parler de « rupture » par plaisir rhétorique soi-disant radical. Ni de chercher le conflit social pour lui-même. Au contraire, il s’agit de reconnaître que notre programme viendra se confronter aux pouvoirs établis, compte tenu des rapports sociaux antagoniques qui traversent notre société.

Un pouvoir social privé

La modération du discours est monnaie courante pour faire face aux pressions électoralistes. Mais le recentrage des politiques économiques a lieu le plus souvent afin de gagner la confiance des patrons pour qu’ils investissent, ouvrent des entreprises et embauchent du personnel.
Car c’est ici que la démocratie libérale atteint ses limites: elle ne peut pas forcer politiquement les capitalistes à investir, si ces derniers refusent les nouvelles conditions qu’un gouvernement de gauche souhaite leur imposer. C’est là un véritable « pouvoir social privatisé », qui se retrouve au coeur d’une société capitaliste telle que la nôtre.

Ce pouvoir possède un levier de déstabilisation économique redoutable. Car une baisse des investissements, donc une chute de l’activité économique privée, se traduirait en perte d’emplois massive, en diminution de rentrées fiscales, en dévaluation du taux de change, en une perte de pouvoir d’achat pour s’approvisionner à l’international (alors qu’un grand pan de notre économie demeure dépendante de l’extérieur), en l’émigration d’une main d’oeuvre qualifiée (« exode des cerveaux »), etc.

Cette chaîne de conséquences peut sembler paniquante, et elle l’est. C’est bien pour la contenir, pour ensuite la surmonter, qu’un gouvernement de gauche doit se préparer pour contrer ces efforts de déstabilisation économique. Sinon, on peut vite se retrouver dans une situation révolutionnaire imprévue, d’où le réflexe des socio-démocrates qui cherchent tout le temps un partenaire dans la classe capitaliste, afin d’éviter une telle situation à tout prix.

L’appel au pouvoir populaire

Dès lors, comment construire un rapport de forces suffisant face à ces opérations de sabotage et de délégitimation? Des mouvements sociaux forts, démocratiques et combatifs sont un support essen-tiel afin qu’un gouvernement de gauche garde le cap sur les réfor-mes structurantes. L’image qui vient en tête est celle de manifestations monstres qui démontrent dans la rue le soutien populaire au gouvernement, contre les efforts médiatiques des dominants pour décrédibiliser celui-ci. Les référendums sont aussi un autre moyen, utilisés récemment par plusieurs gouvernements de la « vague rose » en Amérique latine.

Pourtant la bataille de la légitimité ne peut se substituer à une réflexion approfondie pour se réapproprier nos institutions et notre économie, et pour réorienter celle-ci sur d’autres finalités, basées sur d’autres pratiques et rapports sociaux.

Démocratiser l’économie

Une économie alternative procède à partir du savoir-faire des salarié.e.s de toutes les sphères de l’économie, à travers des syndicats actifs sur ce terrain et par la mise en place des reconversions industrielles nécessaires, donc tel que QS le propose avec sa transition écologique de l’économie.

Dans cette perspective, il faut notamment voir les travailleurs et travailleuses dans le secteur privé comme ceux et celles qui peuvent freiner l’économie capitaliste telle qu’on la connaît et la pousser dans une nouvelle direction. Or, c’est là où le mouvement syndical est aujourd’hui le plus faible. En ce sens, une repolitisation du mouvement syndical doit mettre au coeur de ses priorités le renouveau des types d’emploi et d’économie.

Par exemple, les propositions d’une transition écologique de l’économie, avec ses chantiers de rénovation écoénergétique, de transport collectif électrifié, et d’énergies vertes, devraient se transformer en une force vive au sein même des syndicats de la construction, des transports et de l’énergie. Même chose lorsqu’on parle de deuxième et troisième transformation des ressources naturelles.

D’ailleurs, si notre plan vert est vu comme un nouveau partenariat avec les entreprises privées qui oeuvrent dans ces secteurs, mais que ces entreprises se refusent à y participer, sur qui pourrons-nous nous appuyer, sinon sur la main d’oeuvre qualifiée de ces secteurs, prête à se réapproprier les moyens de production dont elle se sert au jour le jour?

De plus, les initiatives dans les interstices de l’économie capitaliste doivent aussi être vues comme une manière de contourner les tentatives de déstabilisation économique. En ce sens, QS doit appuyer le développement de coopératives autogérées, et encourager le développement de nouveaux circuits de production, distribution et de consommation, dans les communautés et entre les régions du Québec.

Démocratiser l’État

QS pourra soutenir ces initiatives grâce aux leviers d’investissement public que sont la Caisse de Dépôt et Placement du Québec (CDPQ) et Investissement Québec (IQ). Mais cela pose un autre enjeu, soit le rapport de QS à l’État et aux institutions qui le composent. Car la résistance ne viendra pas seulement de l’extérieur de l’État, mais aussi de l’intérieur.

La haute administration publique, souvent considérée comme neutre, est façonnée par l’idéologie dominante. Elle est partie prenante de la restructuration néolibérale de l’État. En ce sens, le processus de nomination de ces personnes est fortement politique et comporte un biais de classe aux accents politiques et idéologiques très marqués.

C’est pourquoi tout un renouvellement de l’administration publique sera crucial. Cela pose plusieurs défis pour un parti de gauche, car celle-ci est souvent recrutée à même les mouvements sociaux, qui voient ainsi plusieurs de leurs éléments être soudainement entraînés dans de nouvelles fonctions, à l’intérieur de l’État.

De plus, il faut préciser le rôle que pourraient jouer les syndicats dans le secteur public pour démocratiser l’État. Ces travailleurs et travailleuses doivent pouvoir redéfinir leurs relations avec les usagères et usagers, non seulement dans le domaine de l’éducation et de la santé, mais dans tous les ministères, afin d’en finir avec des relations bureaucratisées et aliénantes.

Pour une citoyenneté participative

Démocratiser l’État implique aussi de remettre en question la démocratie représentative telle qu’elle existe aujourd’hui. Québec solidaire a déjà défriché des pistes à ce niveau: mise en place d’un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire, décentralisation du pouvoir vers les régions, dénonciations de la collusion entre les gouvernements en place et les entreprises, dénonciations du passage des politicien.ne.s vers les conseils d’administration des entreprises et inversement. Mais il faudra faire beaucoup plus, en soutenant et développant de nouvelles expériences de démocratie directe, afin que les citoyen.ne.s puissent réellement participer à la conduite de la société.

Vers une république sociale du Québec

L’assemblée constituante ne doit plus être réduite, comme elle tend à le devenir, à un débat d’initiés entre souverainistes. Il faut qu’elle devienne au contraire une arme démocratique redoutable susceptible d’enclencher un processus constituant menant à une nouvelle société.

Néanmoins, si cet exercice déborde des cadres de la démocratie libérale et représente de facto une déclaration d’indépendance face à l’État canadien, il ne faut pas sous-estimer les résistances qu’il va générer, les tentatives de déstabilisation en provenance non seulement du gouvernement canadien, mais aussi des élites québécoises elles-mêmes.

En ce sens, un gouvernement solidaire devra prendre toute une série de mesures pour éviter les fuites de capitaux, tout en garantissant en parallèle les conditions de succès d’une transition économique-écologique-démocratique. Cela pourrait passer par l’instauration de contrôle de capitaux, de nouveaux tarifs commerciaux pour rompre avec le libre-échange et la concurrence capitaliste, le soutien aux réappropriations d’entreprises. Sans compter que des démarches pour la mise sur pied d’une nouvelle monnaie, une reprise d’institutions bancaires, de leviers, comme la CDPQ et IQ, s’avéreront rapidement nécessaires.

Pour QS, cela implique un ensemble d'éclaircissements programmatiques, comprenant l’élaboration d’une politique monétaire proprement québécoise, une véritable politique industrielle verte et une politique plus approfondie sur la finance.

Indispensables solidarités internationales

Enfin, tout cela ne pourra se faire qu’à condition de tisser dès maintenant des solidarités internationales en amont, en vue de travailler à de nouvelles relations économiques alternatives. Car l'indépendance du Québec signifie la remise en cause de l'intégrité d'une des puissances impérialistes du G8.

Et cette réalité nécessitera des alliances stratégiques avec les forces ouvrières et populaires du reste du Canada, ainsi que des alliances avec les nationalités opprimées dans l'État canadien. De plus, une résistance à l’impérialisme des États-Unis, avec lequel l’économie québécoise est si interpénétrée, doit être envisagée.

C’est pourquoi QS doit considérer comme crucial à son succès le développement de la gauche canadienne anglaise et américaine, voire internationale.

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